L’historien et le roman national (1)

« L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, est un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L’investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l’origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes. L’unité se fait toujours brutalement ; la réunion de la France du Nord et de la France du Midi à été le résultat d’une extermination et d’une terreur continue pendant près d’un siècle. »

Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? Conférence faite à La Sorbonne, le 11 mars 1882

 

Dans le sillage des révolutions anglaise (1642-1651) et, plus directement, américaine (1765-1783) et française (1789), le XIXe est le grand siècle des nationalismes.

La période antique, grecque et romaine, n’est plus le modèle idéal auquel se mesurer (politiquement, artistiquement…), comme c’était le cas depuis la Renaissance. On cherche désormais en soi les traces d’un passé auquel se rattacher.

Le mouvement culturel romantique irrigue le siècle d’un imaginaire fantasmant les racines, les origines ethniques, géographiques…

Les historiens contribuent à l’édification d’autant de romans nationaux. Jules Michelet (1798-1874) et Ernest Lavisse (1842-1922) en sont les modèles du genre, pour l’histoire de France. Leurs équivalents belges pourraient être Godefroid Kurth (1847-1916) et, surtout, Henri Pirenne (1862-1935) qui fait remonter l’existence et le fait unitaire belge au Moyen-Âge.

Inspirés par leurs récits, les grandes villes occidentales s’ornent des sculptures glorifiant les héros « nationaux ».

Place royale, à Bruxelles, la spectaculaire statue de Godefroy de Bouillon (par Eugène Simonis, 1848) relie l’existence de la Belgique à l’époque de la première croisade (1096-1099).

Les façades de l’hôtel de ville sont recouvertes de statues, manière de galerie de portrait des gloires nationales : nobles, scientifiques, artistes… Ces statues du XIXe siècle ornent donc un édifice érigé dans la première moitié du XVe.

L’idée de Moyen-Âge avait été forgée à la Renaissance pour dénigrer les siècles la séparant de l’Antiquité. Elle rentre en grâce au XIXe siècle. On restaure de fond en comble les monuments hérités de cette période (hôtel de ville, donc, Saints-Michel-et-Gudule, les restes des murailles…).

On bâtit aussi du neuf dans le style ancien : c’est l’avènement du néo-gothique. Les églises Saint-Boniface à Ixelles (1846-1885), Sainte-Catherine dans le Centre ville (1854-1874), Saint-Gilles (parvis de Saint-Gilles, 1868-1878), Saint-Servais à Schaerbeek (1871-1876), Notre-Dame de Laeken (1854-1911), attestent de cette vogue, comme aussi le Petit Château (1852) et la prison de Saint-Gilles (1878-1884).

L’abomination de la Première guerre mondiale vient fracasser ces schémas de pensée. Les Etats-Nations européens se sont érigés les uns contre les autres dans une lutte à mort, avec tous les moyens de l’industrie.

Au sortir de la guerre, les artistes dadaïstes, puis les surréalistes, diront leur haine de l’ordre établi.

L’histoire est également profondément remise en question dans ses finalités.

Nous y reviendrons bientôt.

 

Renaud Van Camp

 

Un lundi sur deux, Renaud Van Camp publie ici un texte original en lien direct ou indirect avec le travail en cours sur le spectacle Maria et les oiseaux (histoires de Belgique) (création 24-25).